mercredi 13 mai 2009

Définition de l'Art de Muriel Barbery - L'Élégance du Hérisson - Marqués par le Dragon - MPLD

Deux approches de l'Art trouvées dans L'élégance du hérisson, de Muriel Barbery, chez Gallimard par Béatrice.

A propos du pas des femmes japonaises dans les films d'Ozu

"Mais lorsque les femmes japonaises brisent de leurs pas hachés le puissant déploiement du mouvement naturel et alors que nous devrions éprouver le tourment qui s'empare de l'âme au spectacle de la nature outragée, il se produit au contraire en nous une étrange félicité, comme si la rupture produisait l'extase et le grain de sable la beauté. Dans cette offense faite au rythme sacré de la vie, dans cette marche contrariée, dans l'excellence née de la contrainte, nous tenons un paradigme de l'Art.
Alors, propulsé hors d'une nature qui le voudrait continu, devenant par sa discontinuité même à la fois renégat et remarquable, le mouvement advient à la création esthétique.
Car l'Art, c'est la vie, mais sur un autre rythme."

A propos des natures mortes

"La convoitise humaine! Nous ne pouvons cesser de désirer et cela même nous magnifie et nous tue. Le désir! Il nous porte et nous crucifie, en nous conduisant chaque jour au champ de bataille où nous avons perdu la veille mais qui, dans le soleil, nous semble à nouveau un terrain de conquêtes, nous fait bâtir, alors que nous mourrons demain, des empires voués à devenir poussière, comme si le savoir que nous avons de leur chute prochaine n'importait pas à la soif de les édifier maintenant, nous insuffle la ressource de vouloir encore ce que nous ne pouvons posséder et nous jette au petit matin sur l'herbe jonchée de cadavres, nous pourvoyant jusqu'à notre mort en projets sitôt accomplis et sitôt renaissants. Mais il est si exténuant de désirer sans cesse...
(...)
Alors la nature morte, parce qu'elle figure une beauté qui parle à notre désir mais est accouchée de celui d'un autre, parce qu'elle convient à notre plaisir sans entrer dans aucun de nos plans, parce qu'elle se donne à nous sans l'effort que nous la désirions, incarne-t-elle la quintessence de l'Art, cette certitude de l'intemporel. Dans la scène muette, sans vie ni mouvement, s'incarne un temps excepté de projets, une perfection arrachée à la durée et à sa lasse avidité - un plaisir sans désir, une existence sans durée, une beauté sans volonté.
Car l'Art, c'est l'émotion sans le désir."

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